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Naviguer en Arctique : récit de notre voyage en voilier de Roscoff à Bodø

Récit de Axel Galpy-Massé


Au delà du Cercle Arctique en voilier

Il y a déjà deux mois, nous levions l'ancre à bord de LifeSong, un magnifique voilier Garcia de 68 pieds en direction le Nord, au delà du cercle Arctique. C'est assez vite dit mais moins vite fait, surtout lorsqu’on habite à Gaspé, à la pointe Est du Québec et que le voilier en question se trouve à Roscoff, en Bretagne!


Je m’en souviens comme si c'était hier, ces 13 heures passées en voiture jusqu'à Montréal, ces 7 heures d'avions jusqu'à Paris, puis ces deux trains. Un ami était venu me récupérer à la gare pour m'emmener jusqu'à la Marina de Roscoff. Je parle de la préparation du périple dans ce précédent article.


J’allais être Second sur le convoyage qui amènerait LifeSong jusqu'à Bodø, au Nord de la Norvège, en passant par l'Ouest de l'Écosse, et ce, en plein mois de Février et ses températures hivernales.

Qu'est-ce que vous en dites?


Nous allions être 8 à bord pour la première section de deux semaines jusqu’à Florø, et 9 pour la deuxième, celle qui nous amènerait au-delà du 67° Nord. Tous des inconnus qui deviendraient vite des amis complices.


Cela fait 2 mois que je revis en moi-même encore cette expérience incroyable et c'est le moment de la partager avec vous tout au long des prochains jours.



10 Février 2024 : Le départ

Le départ, cet instant indescriptible et plein d'émotions.


Ce moment où, après des semaines et voire des mois de préparation, on largue les amarres juste après avoir dit « Au revoir » à la terre ferme et à ceux qui y restent. C'est un moment rempli de joie, d'excitation et que l'on oublie rarement.

Équipage Arctique

Au revoir!


Devant nous, nous avons plusieurs jours de navigation direction le Nord. La première escale serait sur la côte Ouest de l'Écosse mais d'ici là, nous avons la manche à franchir ainsi que la mer d'Irlande à remonter.

Alors que le port disparait tranquillement au loin, chacun est plongé dans ses pensées, dans son moment d'introspection et réalise ce qu'il s'apprête à vivre.

Assez rapidement, on commence à se découvrir, à connaitre ces inconnus dont on a déjà oublié le nom plusieurs fois et qui seront nos compagnons de voyage, de quart ou de cabine pendant les semaines qui suivent et qui rapidement deviendront des amis, des complices.

Tranquillement arrive le premier coucher de soleil, ce spectacle magnifique de lumières et de couleurs, et tandis que les dauphins viennent nous saluer et jouent avec la proue, la lumière du soleil se tamise, remplacée progressivement par les lumières rouges des lampes de poches de ceux qui commencent leurs quarts de nuit.

Premier coucher de soleil à la voile

La nuit tombe et les étoiles s'illuminent.



Jour, Nuit, Quart de Jour, Quart de Nuit.

Tranquillement les journées se suivent, toutes différentes et uniques. Tantôt le vent baisse, tantôt il augmente, des fois au même rythme que les vagues et la houle, tandis que parfois, c'est la cacophonie des éléments et dans nos estomacs pas encore habitués à ce remue-ménage.


Alors on arrive à destination. La première escale de plusieurs d'entre elles. Dans un monde nouveau, un paysage unique, une ambiance inoubliable.

Nous sommes arrivés à Oban, en Écosse, ce pays de châteaux et de moutons.


Je ne suis pas particulièrement amateur de châteaux, mais je dois vous dire que la chair de poule s'est emparée de moi quand, après 2 heures de marche-course par peur de manquer le coucher de soleil, à transpirer car habillé comme s'il faisait aussi froid qu’en mer, j'ai vu se dresser le château de Gylen, seul devant moi, ce vestige de l'histoire, presque oublié mais fier.

Une escale ecossaise


Et trop vite nous reprenons la mer, trop vite une dépression et ses vents forts nous menacent, nous oblige à changer de port, à changer d'endroit pour nous en protéger.



La traversée

La première partie de ce convoyage vers le Nord a comme destination Florø, au Sud-Ouest de la Norvège.

Depuis l'Écosse, ce sont donc deux ou trois jours qu'il faut prévoir pour réaliser cette traversée.

Les conditions météo ne sont pas idéales, avec des dépressions qui se suivent inlassablement les unes après les autres, ne laissant que quelques heures de répit à la mer pour se calmer et au marin pour s'y aventurer.


Et puis, le jour J est arrivé. Notre incroyable capitaine a trouvé la meilleure des fenêtres météo pour réaliser ce tronçon. Sachez tout de même que "meilleure", en Février dans cette zone du globe n'est pas synonyme d' "idéale ou parfaite", loin de là...


Les premiers jours devraient être plutôt tranquilles, à profiter des vents plus calmes qui se présentent juste après le passage d'une dépression. Mais assez vite il faudrait faire face à une forte houle de plusieurs mètres et surtout, se préparer à la dépression suivante qui, dans tous les cas, allait nous rattraper avec ses vents forts et sa mer croisée.

Tempête en voilier

Les fichiers météo annoncent possiblement plus de 45 nœuds de vent...



Le froid combiné à l'humidité fait des dommages.

Un froid qui entre en vous et qui s'empare de chaque parcelle de votre peau et vous ronge jusqu'aux os.


Ce n'est pas tant la température de l'air qui rend difficile la traversée, mais bien cette satanée goutte gelée qui se promène le long du dos, le long du coude et que rien n’arrête.

J'ai eu froid, très froid. Nous avons tous eu froid et par malchance notre système de chauffage n’a pas voulu coopérer afin d’assécher les dégâts de cette goutte machiavélique.


Quand vous êtes mouillés et que vous ne pouvez pas vous sécher, qu'il fait 10 degrés à l'intérieur et 5 à l'extérieur, c'est à ce moment que votre corps commence à faiblir. Ajoutez-y des conditions météo qui s'empirent et vous aurez un aperçu de cette navigation.

Somme toute, nous arrivons en Norvège après 3 jours à braver la mer, accueillis par des rafales qui ont effleuré les 60 nœuds (à 63 nœuds ce sont des vents d'un ouragan) et une houle de 7-8 mètres, afin de tester et d'épuiser nos dernières forces et nos dernières réserves.


Mais vous savez quoi? Une fois ces conditions passées, ce sont ces expériences extrêmes qui rapprochent le plus une équipe et ces moments uniques qui restent gravés à jamais dans vos mémoires.



Norvège

C’est rare de nos jours que l’on puisse ou que l’on se permette de vivre le jour présent, le moment présent. Pourquoi on ne se l’autorise pas d’avantage? Je ne sais pas.

Peut-être existe-t-il un besoin grandissant d’être connecté au monde à travers les réseaux sociaux et nos cellulaires? Un besoin d’être au courant de ce qui se passe, ici, ailleurs, partout. Cette envie devenu besoin, de partager en tout temps.


Parallèlement, souvent lorsque le moment de la fin d'une traversée approche il y a un changement d’attitude vis-à-vis de l’expérience. Est-ce que ça vous est déjà arrivé? Petit à petit on compte le nombre de jours qu'il reste, et avant même que l'on retourne à notre routine quotidienne, celle-ci nous préoccupe déjà.

À bord ça été le cas, nous ne parlions plus de météo, de voile, de moments présents, d'expérience, mais bien de billets d’avion, de boites mail pleines qui attendent votre retour ou encore de travail avec des "Oh je n'ai pas envie de retourner travailler". Alors n'y pensons plus et profitons des instants présents!

Navigation en Norvège

Le premier mouillage en Norvège


Heureusement le décors féerique apaisait ces préoccupations et nous ramenait au moment présent, à la beauté de l’entourage, avec des rencontres formidables qui transformaient une balade sur terre ferme en un vrai festin de gaufres, de rires et de découvertes. Une surprise charmante et réconfortante.


Et puis, finalement, toujours là à attendre, la fin. La fin de cette première partie, les aurevoirs, les accolades et les « à bientôt » de nos équipiers, nos amis, nos complices.


Deuxième départ

Le deuxième tronçon de ce convoyage doit nous amener au-delà du cercle arctique, au-delà des 67°N, à Bodø, vers le froid, vers la neige et vers les aurores. Mon cœur es triste de voir nos anciens équipiers partir soudainement mais il se remplit rapidement de joie. Très vite notre nouvel équipage nous rejoint à Florø et rempli le carré de Lifesong de rires, de blagues et de bonne humeur.


Pour ceux qui restent à bord lorsque les équipages changent, ce n’est pas toujours facile. C’est un équilibre entre la nostalgie des souvenirs créés et l’ouverture vers de nouvelles expériences, surtout quand ces changements ont lieu en l’espace de 24 heures.


Toujours est-il, c’est sous un ciel mitigé que nous larguons les amarres avec nos nouveaux matelots. Et si le ciel est mitigé, la mer quant à elle est chaotique, un désordre qui une fois de plus met à rude épreuve les estomacs nouveaux venus qui ne sont pas encore amarinés.


Coincés et isolés

Une grande dépression nous oblige à rester plusieurs jours coincés dans un petit port situé dans un tournant d’une baie. Dehors le vent fait rage, à cracher des rafales de plus de 40 nœuds et des vagues grandes comme des bâtiments. Dans la baie nous avons une météo qui était aussi abrupte qu’indécise. Tantôt un soleil radieux, tantôt une grêle qui réduit toute visibilité, tantôt un ciel bleu suivit d’une cellule pleine de neige, et ce, toutes les 20 minutes. Coincés et isolés nous jouons à cache-cache avec la météo, sortant la tête du bateau dès que les rayons apparaissent.

La magie en action


Mais ce sont dans ces contrastes rudes qu'opère la magie, avec des jeux de lumière uniques, des changements de décors en accéléré, passer de montagnes brunes et vertes à des monts recouverts par un drap blanc de neige. Magique.


Plus on monte vers le Nord, plus on se sent petit dans ce décor imposant qui nous surplombe du haut de ses sommets blancs.


Petit à petit, trois couleurs envahissent le décor : le bleu, le blanc et le noir, ainsi que tous leurs différents dégradés, du plus clair au plus foncé.

Le bleu pâle du ciel se voit zébré par le blanc des cirrus tandis que le bleu marine des fjords est hachuré par les crêtes des vagues, telles un troupeau de mouton frénétique. C’est de toute beauté, juste incroyable.

Navigation digne de Game of Throne

Dans les bleus


Les températures négatives (et même très négatives, on a eu du -18° C ressenti) mettent à rude épreuve l’endurance des personnes en quart. Mais encore une fois, cette épreuve ne fait que valoriser la beauté de l’instant présent, mettre en valeur la force de la nature et nous rappeler d’être humble face à elle. Nous ne sommes que des visiteurs dans ce paysage, des voyageurs dans ces contrées.


Les univers parallèles

Loin de vouloir vous énoncer une théorie métaphysique, j’aimerais partager avec vous une sensation qui me revient très souvent pendant les navigations.


Il fait nuit, je suis en train de faire mon quart, seul ou accompagné, dehors. Le vent fouette mon visage, les étoiles scintillent comme un bonjour bienveillant tandis que le voilier avance, tranquillement, découpant la surface de l’eau avec son étrave. Et puis, on réalise que, pas loin, juste au-dessous de nous, séparés par 2 centimètres de fibre de verre il y a le reste de l’équipage, qui dort, qui se repose, dans les bras de Morphée.


Lors de cette traversée nous avons eu de la neige, beaucoup de neige. Et puis, encore une fois, les mêmes sensations. À l’extérieur nous sommes là, sous la couche blanche, à devenir des bonhommes de neige, à vivre une réalité bien différente du reste de l’équipage, bien au chaud à l’intérieur, se laissant transporter jusqu’à ce que leur tour de prendre le quart arrive. Et de temps en temps une tête qui sort par le hublot, qui s’assure que le monde extérieur va bien, que nous sommes toujours souriants.

Il fait froid à bord

Un des univers


Dans les deux cas, deux réalités bien différentes, deux espace-temps qui avancent ensemble et vers la même direction, interdépendants et interconnectés. Est-ce que vous avez eu ces mêmes sensations?


Le Cercle Arctique et Bodø.

Le 8 mars 2023 nous passons le cercle arctique, cercle imaginaire que l’homme a situé au 66º 33, presque un mois après avoir largué les amarres en Bretagne. Au nord de ce cercle, il y a au moins une journée par année où la nuit n’existe pas en été et où le soleil ne dépasse pas l’horizon en hiver.


Un silence, une prise de conscience de l’unicité de l’instant, de la force du moment. Ce moment où l’on réalise ce que nous avons accompli, grâce à tous et chacun, matérialisé par ce globe métallique situé sur l’île de Vikingen, qui nous salue de loin.

Le cercle Arctique en voilier

Bienvenue au Nord


Bodø: ce nom de ville qui sort de nos lèvres depuis plusieurs mois maintenant devient tranquillement une réalité. Petit à petit, inlassablement nous nous en rapprochons, jour après jour, mile après mile. C’est une proximité qui a le goût amer de la fin.


Mais si le goût amer est présent à la fin c’est indubitablement que le voyage a été agréable.


C’est très difficile, comme vous pouvez le supposer, faire passer par écrit les émotions vécues à cet instant où l’on amarre pour la dernière fois le voilier qui aura été son chez soi pendant les 5 dernières semaines. Ces instants où l’on se regarde tous, les uns et les autres, les larmes aux yeux, avec un sentiment d’accomplissement, d’avoir bravé les intempéries et de s’être soutenu mutuellement lorsque la difficulté pointait le bout de son nez.


À tous ceux qui ont participé de près ou de loin à ce périple, on souhaite vous dire merci, prenez soin de vous et à très bientôt!


À vous tous qui vous êtes rendus jusqu’ici dans votre lecture, je vous souhaite une bonne journée et je vous invite à nous contacter si vous avez des questions ou des commentaires.

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