Tandis que j’écris ces lignes nous avons démâté il y a encore moins d’un jour et je sens que mon corps est encore sous les effets du stress et de l’excitation.
Le démâtage a, selon moi, un quelque chose d’extraordinaire, de symbolique, presque mélancolique. Je ne crois pas être le seul à s’émerveiller par la sensation de sérénité et d’apaisement qu’amène la vue d’un voilier qui se dandine d’un bord et de l’autre au mouillage. En navigation le voilier dégage une aura de force, de puissance, d’harmonie. Et si l’image d’un voilier hors de l’eau peut encore évoquer un air de beauté tel un monument à la gloire des temps des expéditions et des découvertes, je trouve qu’un voilier sans mât se retrouve dénudé. C’est une image presque triste et mélancolique de ses jours de navigation.
Mais cette étape signifie également le début d’un renouveau, et si le démâtage peut être teinté d’un voile de mélancolie, le mâtage ne pourra qu’être entouré de force et de joie.
Cela faisait longtemps qu’on en parlait, de démâter Venus, mais n’avions jamais eu l’occasion de le faire avant, mais le moment était enfin arrivé.
Derniers instants de Venus avec son mât
La préparation
Démâter un voilier de 51 pieds n’est pas une mince affaire et demande une préparation détaillée et méticuleuse car ne sont pas moins de 700 Kg et 24 mètres de mât qui seront ôtés de leur assise.
Pour réaliser cette manœuvre une grue est évidement indispensable, et celle-ci doit être suffisamment grande et puissante pour pouvoir soulever et contrôler cette structure tranquillement et de manière méticuleuse car une erreur peut être fatale.
Tous les câbles électriques qui passent à travers le mât doivent être déconnectés et libérés. À bord de Venus nous avons 5 câbles qui traversent, soit l’anémomètre, les lumières de navigation et lumière de mât ainsi que l’antenne radio ainsi qu’un tuyau hydraulique pour notre hale-bas.
En principe la règle de l’art veut que l’on monte en tête de mât afin de déconnecter les appareils sensibles et fragiles, soit l’anémomètre et la girouette qui sont susceptibles de casser lors du grutage. Cependant au cours de l’hiver dernier afin de préserver nos drisses nous les avions remplacés par des messagers, mais les vents forts et répétés (il n’est pas rare d’avoir du 50 nœuds, soit 90 km/h à Rivière au Renard) ont eu raison des messagers qui au fur et à mesure se sont retrouvés sectionnés. Du coup aucun moyen de repasser de drisses, et aucun moyen de monter en tête de mât.
Nous avons essayé de nous y rendre avec des nacelles, mais aucune n’était suffisamment grande pour nous amener à 27 mètres au-dessus du sol.
Le fait de ne pas avoir de drisse ne faciliterait pas non plus la manœuvre pour relâcher la tension de l’étai (ce câble qui tient le mât par l’avant) car si un drisse aurait pu être attachée à l’avant du voilier pour l’utiliser pour reprendre la tension de l’étai.
La voile étant un mode de vie d’adaptation nous avons dû faire autrement.
Le Jour J
On est en Décembre, il fait -10°C et c’est le grand jour. Pourquoi démâter si tard dans l’année ? La raison est assez simple, la seule grue étant capable de supporter notre mât n’était disponible qu’à partir de cette date.
Il fait -10°C, le soleil n’est pas au rendez-vous mais le vent non plus, et c’est le plus important. Pour réaliser cette opération le vent maximal supporté est de 30 Km/h et selon les prévisions il ne devait pas dépasser les 20 km/h pendant la journée. Le début du démâtage est prévu pour 13h et en principe nous avons jusqu’à 17h pour clôturer le tout.
Après 45 minutes de route nous arrivons au chantier à 9h30, et après avoir parlé avec l’équipe du chantier naval nous savons où nous allons pouvoir poser le mât et nous nous attelons à la tâche de mettre en place 4 supports en bois sur lesquels nous déposerons le mât. Nous voulons le mettre assez haut pour qu’il ne se retrouve pas engouffré dans la neige et le gel, donc nous installons des supports hauts d’environ 1 mètre à 7 mètres les uns des autres. À leur sommet, dans le but de protéger le mât et le rail de grande voile nous installons une sorte de coussin fait-maison avec de la mousse de 20 cm d’épaisseur enroulée dans un morceau de vieux tapis de yoga récupéré qui va permettre de solidariser le tout.
On installe la sangle avec la nacelle
Il est 11h et les 4 supports sont installés.
Pour le démâtage il faut installer une sangle autour du mât au-dessous de la deuxième barre de flèche, sangle à laquelle sera attaché le crochet de la grue, cependant étant donné que nous ne pouvons pas monter une personne à mi mât pour l’installer à cause de la drisse manquante, il faut utiliser une nacelle. Le conducteur de la nacelle vient donc s’assurer que tout est bon et que l’installation sera possible au moment donné.
Il est 13h et c’est le moment de la vérité qui commence. Notre voisin de chantier Mathieu ainsi que Pierre Yves sont là pour nous donner un coup de main. La première étape est l’installation de la sangle. Afin de l’empêcher de glisser le long du mât et de venir s’accoter sur la barre de flèche nous avons installé une ligne qui sert de retenue que nous avons accroché au pied de mât. Ensuite la sangle est accrochée à la grue et c’est le moment de libérer le mât. On soulage la tension de la drisse avec une patente fait-maison afin d’enlever la pin qui la tient, et ensuite on s’attaque au pataras, galhaubans et haubans. Il est 13h45 et le gréement est ramené au mât et attaché sauf l'étai et l’enrouleur qui seront guidés et surveillés par P-Y.
Le gréement est libéré
La jonction entre le pont et le mât est fait avec du Spartite, un polymère rigide mais qui offre une certaine flexibilité pour encaisser les chocs et les vibrations du grément. En principe le fait que de la vaseline ait été installée entre le Spartite et le pont lors du précèdent démâtage en 2017 aurait dû faire en sorte que le tout coulisse dès qu’une tension raisonnable serait appliquée par la grue. Mais rien ne bouge. Absolument rien, pas un millimètre.
Heureusement nous nous étions préparés à cette éventualité et nous nous sommes mis à perforer ce Spartite sur tout le pourtour. À plusieurs reprises nous avons essayé de lever le mât sans succès et avons recommencé à perforer de plus belles, jusqu’aux environ de 16h15 où d’un coup sec le tout a cédé et le mât s’est élevé d’un mètre et demi, sans préavis.
L'équipe s'attelle à la tâche!
Cette secousse brutale nous a non seulement surpris mais a également fait valdinguer le mât de haut en bas arrachant l’anémomètre en tête de mât par la même occasion !
Mais le mât est là maintenant, à 1 mètre au-dessus du pont et c’est le moment de le guider tranquillement vers sa nouvelle position allongée.
Nous avions installé plusieurs cordages à sa base pour pouvoir le contrôler et après un beau travail d’équipe et de communication, à 16h45 le mât est finalement couché sur ses supports tandis que l’équipe se remet de ses émotions intenses !
Le tout nous a pris exactement 3h45, la nuit s’est installé au courant de la manœuvre et la température n’a pas dépassé les -10°C. Le vent a été clément et même s’il semblait forcir à un certain moment, il s’est vite recalmé.
Pendant ces 3 heures nous étions en mode solution car si certains aspects se sont déroulés comme prévu, d’autres nous ont amené un bon lot de casse-tête, notamment le Spartite. Il n’y avait pas de retour en arrière possible, on a percé sans cesse pendant plus d’une heure, à passer une batterie après l’autre sans voir d’avancement tandis que la nuit tombait et les lampes frontales s’allumaient. Et là tu te demandes comment faire, quoi faire ? Gérer un mât de 700 kg n’est pas une mince affaire et les enjeux ne sont pas petits ni pour son propre voilier ni pour les voisins qui semblent toujours être trop proches. Mais finalement le tout a été fait, de la meilleure façon possible.
Venus à côté de son mât
Ce n’est pas tous les jours que l’on démâte un mât traversant sur un 51 pieds ! En tout cas c’était ma première fois et c’était la première fois de toute l’équipe présente !
Je veux sincèrement remercier toutes les personnes qui nous ont aidé à réaliser cette manœuvre :
- Merci à Amelie et Karel pour ces si bons conseils pour le démâtage
- Merci à Mathieu d’être venu à notre rescousse avec ton aide et tes outils
- Merci à Pierre-Yves d’être venu nous donner un coup de main et de préserver notre enrouleur
- et bien sûr Merci à Chloé, sans qui rien de tout ça n’aurait lieu !
Et je tiens aussi à vous dire un grand merci à vous tous, pour vos messages, votre support et vos encouragements !
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