Récit écrit par Axel Galpy-Massé
Une expédition et une course de voile traditionnelle autour du monde pour valoriser la relation entre l’humain et l’océan
Vénus en Guadeloupe.
Contre vents et courants, nous sommes partis en pleine pandémie de l’autre côté de la Terre avec un seul objectif : ramener Vénus, un voilier Baltic 51 de 1980 au Québec dans le but de sensibiliser le public aux enjeux environnementaux, de mettre en place des expéditions et de participer à une course autour du monde sans GPS.
Bienvenue dans l’aventure humaine et le projet environnemental d’ArcticStern.
Toujours pas d’exploits formidables au menu, pas d’histoires incroyables en hors-d’œuvre, seules la persévérance et l’ambition d’atteindre notre objectif ont été les ingrédients de la réussite de la première partie de cette aventure qui s’est conclue voici un peu plus de deux semaines, à la fin du mois de juillet 2022. Mais ne progressons pas trop vite, car ce n’est pas dans la finalité que réside la beauté, mais plutôt dans le chemin parcouru pour y arriver.
Premier selfie de Chloé et Axel au Québec!
Pour ceux qui ne nous connaissent pas, je m’appelle Axel et il y a un peu plus d’un an, du haut de mes 27 ans et de mes quelques expériences océaniques, je me suis lancé dans ce qui allait devenir l’aventure de ma vie. Chloé, mon second et bras droit tant dans la vie que dans ce projet a eu l’audace de s’y lancer également. Une équipe de feu, l’équilibre parfait, l’alliance de force tranquille et d’énergie contagieuse. Et c’est peu dire.
Nous avons décidé de mettre de côté notre vie terrestre, nos sécurités et nos zones de confort dans l’objectif de partir vers l’inconnu, de mener à bien ce projet et cette aventure humaine.
Dans notre dernier article, il y a de ça six mois, nous étions sur le point de lever l’ancre en Polynésie française pour vivre une expérience unique et peu habituelle : la traversée de l’océan Pacifique en direction du Panama contre les vents et les courants dominants.
Équipage Transpacifique aux Marquises.
L’École de l’océan – la clé de la réussite : le mindset
Pour nous, c’était la première étape du demi-tour du monde qui nous attendait. Face à la difficulté de ce que nous nous préparions à réaliser, « Vous êtes fous », c’est ce que nous disaient les navigateurs rencontrés lors de nos dernières escales de préparation.
La difficulté est une chose, mais l’une des grandes leçons de cette aventure, c’est que, peu importe l’expérience de chacun, le courage ou la force, tout est une question d’état d’esprit, le fameux « mindset ».
Être conscient qu’il fallait être prêt à s’adapter, endurer et faire face à des situations peu confortables, difficiles et imprévues, mais surtout avoir la capacité de garder une attitude positive face à ces défis.
En traversée du Pacifique.
« Le but est de quitter la Polynésie française et de se rendre jusqu’au Panama. Nous ne savons pas quel jour nous allons lever l’ancre. Nous estimons une durée de 45 jours, mais nous embarquons de la nourriture et de l’eau pour 60 jours. Ceci dit, nous ne savons pas combien de temps va durer la traversée. Je ne peux même pas vous garantir que nous allons y arriver. Mais si vous êtes prêts à vivre l’aventure d’une vie, à passer au travers des moments difficiles, inconfortables, à avoir froid, faim, être fatigués et vivre ensemble en autonomie complète pendant plus d’un mois en plein milieu d’un océan, vous êtes les bienvenus. » Tel était le message que j’avais envoyé à ceux qui deviendraient nos équipiers.
Une fois préparés au pire, tout le reste n’est que du positif.
Je vous assure, ces dernières années ont été pleines d’apprentissages, de croissance personnelle, de rencontres, de moments uniques, mais aussi d’expériences difficiles et marquantes qui ont façonné la personne que je suis aujourd’hui. En tant que capitaine, lorsqu’on lève l’ancre pour traverser l’océan le plus grand du monde à contre-sens, on doit accepter et assumer de prendre la responsabilité du voilier, de l’expédition, mais surtout de l’équipage. En mer, chacune des décisions prises a un impact direct sur l’embarcation, mais aussi et surtout sur les équipiers à son bord.
34 jours avec comme voisin l’océan
À peine avions-nous quitté le paradis sauvage des Marquises que l’océan nous a fourni le plus beau des cadeaux que nous pouvions espérer. C’était une journée ensoleillée et douce, le vent remplissait les voiles de Vénus qui chevauchait avec joie les vagues une à une, tandis que son équipage contemplait avec émerveillement la terre qui disparaissait au loin, petit à petit. Et puis, comme dans un orchestre de la vie, nous nous sommes retrouvés au milieu de bancs de thons jaunes qui, avec leur force brute et sauvage, chassaient des bancs de poissons. Nous en avons profité pour nous insérer dans ce cercle de la vie et c’est avec deux thons frais que nous avons commencé ce périple.
Victor notre pêcheur avec un Mahi Mahi.
Les jours se sont enchainés, les uns après les autres, tous différents et uniques. Certains plus difficiles que d’autres. Parfois, nous avions la visite de dauphins de jour comme de nuit, d’autres fois, les fous profitaient de nos balcons pour faire quelques milles sans efforts. Nous étions connectés avec l’environnement qui nous entourait, au rythme du vent et de la lune, et lorsque nous manquions de poisson, la ligne à peine jetée à l’eau et l’océan nous en offraient en quelques heures.
Point astronomique lors de la traversée du Pacifique.
Nous avons passé plus d’un mois au près, à vivre avec une quinzaine de degrés de gite, tribord amure, sans aucun virement de bord ni empannage, mais comme seules manœuvres la prise, le largage d’un ris ou le changement de la voile avant. Littéralement. Sur le plan de la navigation, il ne fallait cependant ni oublier la présence d’un courant d’est en ouest qui peut atteindre les trois nœuds, ni oublier la zone de turbulences intertropicales. Dès que nous avons quitté la Terre des Hommes, nous avons dû traverser ce courant à l’endroit le plus stratégique possible et continuer vers le 5e degré de latitude Nord afin de rejoindre la petite zone de contre-courant de l’ouest vers l’est qui s’y trouve. Une fois atteinte, une grande partie de la difficulté associée à ce trajet avait été franchie et il a fallu néanmoins garder une attention quotidienne sur l’évolution de ce contre-courant tout le long du périple.
Mais encore une fois, lorsqu’on s’attend au pire, tout ce qui suit n’est que pure délicatesse!
D’un océan à l’autre
Après les jours, ce sont les semaines qui se sont enchainées, les unes après les autres, devenant des mois. Puis nous sommes arrivés au Panama pour emprunter l’une des plus emblématiques constructions d’ingénierie du siècle dernier : le fameux canal de Panama qui se faufile dans une jungle que l’on pourrait croire vierge avec ses singes hurlants, sa faune et sa flore omniprésente. Ici, bien qu’en pleine jungle, ce ne sont pas des pirogues ou des chaloupes que vous allez croiser, mais bien des paquebots, les uns après les autres. Il y a environ 24 cargos qui traversent le canal chaque jour d’un bord comme de l’autre, à travers les 40 milles nautiques que celui-ci mesure avec ses six écluses monumentales. Même avec un 51 pieds on se sent tout de suite tout petits!
Victor prépare les amarres dans une des écluses du canal de Panama.
Après les eaux vivantes de l’océan Pacifique, ce sont les eaux tumultueuses de la mer des Caraïbes qu’il a fallu apprendre à connaitre. On n’affronte pas la mer ni ses éléments.
L’équipe canal de Panama.
Si les conditions sont difficiles et inconfortables, l’harmonie est dans la capacité à s’adapter et à comprendre les rythmes de la mer. Toute confrontation directe est vouée à la fatigue, à la casse, aux blessures ou pire encore.
Conditions musclées entre Panama et Guadeloupe.
Si j’avais à décrire cette traversée, je ne dirais sûrement pas que c’était une balade du dimanche. Plutôt le contraire. Une navigation où cette fois-ci les grains et les vents violents s’enchainaient, les manœuvres étaient régulières, la mer hachurée et le moral mis à rude épreuve. De plus, de ce côté-ci du globe, comme pour continuer à nous mettre au défi, l’océan ne nous accorde pas de voisins aviaires ni marins. Seuls, dans cette étendue croisée, avec comme seule récompense de la pêche, un nœud de sargasses.
Nous progressons lentement au gré des manœuvres au large des îles caribéennes. La Jamaïque, la République dominicaine, Haïti, Puerto Rico se succèdent avec leurs radios locales qui nous donnent, alors que nous sommes isolés dans notre habitat flottant, un aperçu d’une autre vie terrestre.
La Belle Gwada
Et puis l’ambiance accueillante et enivrante des Petites Antilles est arrivée. Les épices créoles, les marchés où les tons vifs de rouge, jaune et orange contrastent avec les peaux bronzées des locaux, qui vous accueillent avec leur sourire franc.
Nous avons eu la chance de devoir attendre la fenêtre météo pour notre traversée vers le Canada pendant 16 semaines. Quatre mois où nous avons accueilli près d’une vingtaine d’équipiers venus s’immerger dans la vie marine, à bord d’un voilier, à naviguer entre les îles. Guadeloupe, Marie Galante, Les Saintes, Terre de Haut et Terre de Bas ou encore Grand-Ilet; des champs de canne à sucre à perte de vue aux sentiers pittoresques du volcan de la Soufrière en passant par les eaux turquoise et les plages de sable blanc de Port Louis. Gwada a plus d’un secret à offrir.
La face cachée du Paradis
Comme vous l’aurez remarqué, je ne vous peins ici que le beau côté du tableau, car somme toute, c’est celui qui reste gravé dans les souvenirs lorsqu’on regarde par-dessus son épaule. Mais en toute honnêteté, ce n’est pas de tout repos. Un voilier qui traverse plus de 7 000 mn (13 000 km) en trois mois arrive rarement à destination sans aucun bris et sans une bonne liste de réparations à effectuer. Vénus ne faisait pas partie des exceptions. Nous sommes arrivés en Guadeloupe avec une longue liste de tâches à effectuer, toutes plus longues et plus complexes les unes que les autres bien que ces deux aspects n’aillent souvent pas de pair. Je m’explique. La vie à bord est bien différente de la vie terrestre, les enjeux ainsi que la logistique étant tout autres. Je vous parle ici de gaz, d’eau potable, de déplacements vers le terre ferme, des épiceries ou encore des imprévus divers.
Avoir un voilier, c’est prendre la liberté de devenir l’esclave de son embarcation.
Vérifications du mât en Guadeloupe pour la prochaine traversée.
Et puis, très vite, en mai, le moment est venu de terminer la boucle, de remonter vers le Canada, direction Halifax.
Nous étions à Saint-Martin et la route directe se présentait comme un 000° sur le cap vrai, soit plein Nord! Nous avons toutefois dû ajuster notre trajectoire au fur et à mesure de notre remontée afin de mieux profiter des vents et des sinuosités du courant du Gulf Stream qui coule au large de la côte de la Nouvelle-Écosse. Nous étions cinq à bord, tous du Québec et ça s’annonçait déjà comme une douce transition vers cette terre que nous appelions maison.
Un spectacle de sons et de lumières
Parfois, on essaye de donner de la signification aux évènements, et tout au long de cette traversée, nous avions l’impression que Vénus se braquait et refusait de monter au Nord, comme si elle voulait rester dans les eaux douces et chaudes des tropiques. Dès le premier jour, nous avons enchainé les pannes, des bris et des difficultés. Après notre hale-bas hydraulique qui a décidé de lâcher, c’est notre bienveillant Joe Le Pilote Automatique qui en vent arrière a brisé son support nous forçant à des travaux en pleine mer afin de le rétablir. Ceci dit, à peine réparé, comme si Vénus et Joe s’étaient mis d’accord pour ralentir notre progression vers le Nord, c’est l’électronique de ce dernier qui a commencé à faire des siennes.
Axel explique l'utilisation du sextant.
Résultat, dorénavant il fallait avoir un barreur 24h/24h car nous n’avions plus de pilote automatique. S’en est suivi le bris d’un charriot du rail de grande voile qui a refusé de suivre le cortège, libérant une pluie de billes de Torlon sur le pont et nous laissant dans l’impossibilité de larguer les trois ris. Après une belle parade de dauphins et de globicéphales, le point d’amure de notre génois nous a lui aussi lâchés, le rendant totalement inutilisable. Cerise sur le gâteau à 150 milles nautiques d’Halifax, alors que nous étions supposés arriver le lendemain, un mur de nuages illuminé d’éclairs zébrait la nuit noire avec des vents de près de 50 nœuds et de la pluie dont la violence nous laissait perplexes. On était mal pris, dans une mauvaise situation.
En temps normal nous aurions pu naviguer en toute sécurité à travers ces conditions, mais nous avions été surpris par les conditions qui étaient censées être clémentes avec des vents ne dépassant pas les 20 nœuds. Comble de l’impuissance, le vent a commencé à s’engouffrer dans notre génois enroulé faisant vibrer l’ensemble du gréement. Le mat gémissait sous nos regards impuissants. Car oui, une fois que tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir, il ne reste plus que le choix de subir, accepter et se préparer pour le pire tout en espérant que ça ne se déclenche pas.
S’il y a une leçon que j’ai tirée de cet évènement qui a duré plus de six heures, c’est qu’on n’est jamais à l’abri d’une surprise, qu’il faut être toujours prêt. Une fois qu’on a fait de son mieux, il ne reste parfois que l’option de se faire tout petit, d’assurer la sécurité de l’équipage et d’accepter. C’est tout.
Équipage Saint Martin – Halifax à son arrivée au Canada.
Ô terre en vue
Bleu et blanc, rouge et blanc, les drapeaux du Québec et du Canada volaient haut dans les airs d’Havre-Aubert, aux Îles-de-la-Madeleine, nous rappelant que nous étions arrivés trois semaines plus tôt à Halifax, dans la noirceur et la quiétude de la nuit.
Nous avions réussi, contre les vents et les courants. Après plus de 15 000 milles nautiques, deux océans traversés, 432 jours à bord sans interruption à se faire bercer par les mouvements incessants de notre Vénus, nous étions de retour à la maison, nous avions atteint notre objectif : le Québec.
Capitaine (Axel) et Second (Chloé) regardent au large avec leur hoodie.
Nos premières impressions?
Un beau mélange d’émotions, depuis la joie de l’accomplissement à la tristesse de clôturer cette première étape de cette aventure. Mais aussi la fatigue accumulée par le voyage, le devoir de continuer à travailler jour et nuit pour que le projet reste à flot.
Aujourd’hui, après deux mois à parcourir le fleuve Saint-Laurent avec des équipiers, Vénus est hors de l’eau, à trois mètres au-dessus du sol, au sec, calée sur son ber jaune à Rivière-au-Renard, à la pointe est de la Gaspésie. À peine sortie nous l’avons vu apaisée et prête à prendre un repos bien mérité après un tour du monde sans interruption et sans réelles pauses.
Vénus sur son ber à Rivière-au-Renard.
De notre côté, nous avons repris la vie terrestre. Nous sommes de retour à Montréal, du moins de manière temporaire, où nous préparons la suite du projet. Car bien qu’épuisés par ce périple, l’apprentissage et l’expérience ont été tels que nul doute n’est possible quant à notre envie de préparer le deuxième chapitre de cette épopée.
Pour l’instant, une belle saison de travaux commence dans les prochaines semaines pour redonner à Vénus tout l’amour qu’elle nous a donné. En parallèle, nous voici assis devant une grande page blanche qui porte comme titre « Expéditions 2023-2025 » et qui n’attend que nos idées pour se matérialiser. Expéditions dans le nord du Canada et le Groenland, circuit sur l’Atlantique Nord en passant par les mystérieuses Açores et les joyeuses îles Canaries, embarquement de projets divers de documentaires, la recherche scientifique, de plongées et autres, les idées et les possibilités ne manquent pas.
Vénus et coucher de soleil.
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Ça va nous faire très plaisir de vous accueillir dans cette aventure, votre aventure!
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