Le démâtage a quelque chose d’extraordinaire, de symbolique, presque mélancolique. En navigation, le voilier dégage une aura de force, de puissance, d’harmonie. Si l’image d’un voilier hors de l’eau peut encore évoquer un air de beauté, tel un monument à la gloire des temps des expéditions et des découvertes, je trouve qu’un voilier sans mât se retrouve dénudé.
C’est une image presque triste et mélancolique de ses jours de navigation.
Mais Cette étape signifie également le début d’un renouveau.
Voici le processus du démâtage d'un mât traversant étape par étape.
La Préparation
Démâter un voilier de 51 pieds n’est pas une mince affaire et demande une préparation détaillée et méticuleuse. Ce ne sont pas moins de 700 kg et 24 mètres de mât qui seront ôtés de leur assise.
Pour réaliser cette manœuvre, une grue est indispensable, et celle-ci doit être suffisamment grande et puissante pour pouvoir soulever et contrôler cette structure de manière méticuleuse, car une erreur peut être fatale.
Démâter un 51 pieds
Avant le Jour J
Tout réside dans la préparation. Comme sur terre, comme sur mer, une préparation méticuleuse va éviter des erreurs et des sursauts.
Préparer les supports qui vont accueillir le mât une fois il va être couché. Ceux-ci doivent être équipés avec de la mousse afin de protéger le mât. Nous avons utilisé un vieux matelas en mousse entouré de vieux tapis de yoga.
Tous les câbles électriques qui passent à travers le mât doivent être déconnectés et libérés. Lumières de mât, antenne VHF, radar ou encore tuyaux hydrauliques pour l'hale-bas
Monter en tête de mât pour déconnecter les appareils tels que girouette, anémomètre et autres
Mesurer la longueur des haubans en mesurant la distance qu'il y a sur les ridoirs de vos haubans.
Dans le cas d'un mât traversant, s'assurer de comprendre comment est fait le joint pont-mât pour s'il faisait défaut.
Le Jour J
C'est le grand jour, la tension est au maximum, tout le monde est là et c'est le moment de garder son calme et d'avoir une communication claire avec son équipe ainsi que le grutier.
Pour le démâtage d'un grand voilier, il est important d'avoir une équipe assez nombreuse, mais pas trop. Le nombre d'or est 4, ou 5 avec une personne qui va être là en soutien. Plus de monde et on va se marcher dessus et la communication risque d'être plus difficile, et moins de monde on risque de manquer de bras.
La sangle est installée au-dessous de la deuxième barre de flèche. Cette étape peut se faire soit en montant au mât avec une drisse, soit avec une nacelle.
La sangle est équipée d'une retenue accrochée au pied de mât. Cette retenue va empêcher la sangle de monter et de venir s'accoter aux barres de flèches lorsque le mât est soulevé.
La grue vient se prendre à la sangle et est prête à soulever.
On dessert le pataras ainsi que l'étai ou les étais s'il y en a plusieurs. Lorsqu'on dévisse les ridoirs, évitez d'utiliser un tournevis, mais privilégiez plutôt des clés plates.
Si l'étai est muni d'un enrouleur, un membre de l'équipe sera dédié uniquement à le contrôler. Sa mission est qu'il ne vienne pas déranger à la manœuvre, s'abîmer ou abîmer d'autres éléments.
C'est le moment de mettre un tout petit peu de tension verticale vers le haut avec la grue. Ceci va empêcher le mât de venir s'appuyer sur le pont dès que les haubans seront complètement libérés.
Les haubans et galhaubans sont libérés et sont attachés au pied de mât avec les étais et le pataras grâce à un cordage.
Deux cordages longs sont frappés au pied de mât afin de pouvoir le contrôler une fois celui-ci dans les airs
C'est le moment de lever: rôle des membres de l'équipe:
1 personne sous le pont va guider le mât depuis l'intérieur du bateau
1 personne sur le pont va s'accrocher au pied de mât afin de contrôler sa montée
1 personne contrôle l'enrouleur de génois
1 personne (souvent le capitaine) dirige la procédure avec une vision d'ensemble qui fait la communication des différents équipiers.
Dans notre cas, le joint pont-mât était fait en Spartite et la lubrification qui était supposée aider lors du démâtage était sèche. Nous avons dû alors percer le Spartite tout autour du mât.
Une fois le mât délogé et dans les airs, le contrôler à l'aide des cordages installés préalablement puis le guider vers les supports déjà installés.
Et voilà. Il faut en tout temps garder son calme, et être prêt à faire face aux imprévus.
Voici comment s'est déroulé notre démâtage.
Après 45 minutes de route, nous arrivons au chantier à 9h30, et après avoir parlé avec l’équipe du chantier naval nous savons où nous allons pouvoir poser le mât et nous nous attelons à la tâche de mettre en place 4 supports en bois sur lesquels nous déposerons le mât.
Nous voulons le mettre assez haut pour qu’il ne se retrouve pas engouffré dans la neige et le gel, donc nous installons des supports hauts d’environ 1 mètre à 7 mètres les uns des autres. À leur sommet, dans le but de protéger le mât et le rail de grande voile, nous installons une sorte de coussin fait-maison avec de la mousse de 20 cm d’épaisseur enroulée dans un morceau de vieux tapis de yoga récupéré qui va permettre de solidariser le tout.
On installe la sangle avec la nacelle
Il est 13h et c’est le moment de la vérité qui commence. La première étape est l’installation de la sangle. Afin de l’empêcher de glisser le long du mât et de venir s’accoter sur la barre de flèche, nous avons installé une ligne qui sert de retenue que nous avons accrochée au pied de mât. Ensuite la sangle est accrochée à la grue et c’est le moment de libérer le mât.
La jonction entre le pont et le mât est faite avec du Spartite, un polymère rigide, mais qui offre une certaine flexibilité pour encaisser les chocs et les vibrations du gréement. En principe le fait que de la vaseline ait été installée entre le Spartite et le pont lors du précédent démâtage en 2017 aurait dû faire en sorte que le tout coulisse dès qu’une tension raisonnable serait appliquée par la grue. Mais rien ne bouge. Absolument rien, pas un millimètre.
Heureusement nous nous étions préparés à cette éventualité et nous nous sommes mis à perforer ce Spartite sur tout le pourtour. À plusieurs reprises nous avons essayé de lever le mât sans succès et avons recommencé à perforer de plus belle, jusqu’aux environs de 16h15 où d’un coup sec le tout a cédé et le mât s’est élevé d’un mètre et demi.
L'équipe s'attelle à la tâche!
Le mât est maintenant à 1 mètre au-dessus du pont et c’est le moment de le guider tranquillement vers sa nouvelle position allongée.
Nous avions installé plusieurs cordages à sa base pour pouvoir le contrôler et après un beau travail d’équipe et de communication, à 16h45 le mât est finalement couché sur ses supports tandis que l’équipe se remet de ses émotions intenses !
Le tout nous a pris exactement 3h45, la nuit s’est installée au courant de la manœuvre et la température n’a pas dépassé les -10°C. Le vent a été clément et même s’il semblait forcir à un certain moment, il s’est vite recalmé.
Gérer un mât de 700 kg n’est pas une mince affaire et les enjeux ne sont pas petits ni pour son propre voilier ni pour les voisins qui semblent toujours être trop proches. Mais finalement le tout a été fait, de la meilleure façon possible.
Venus à côté de son mât
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